dimanche 19 avril 2009

Thomas Klimowski

Polonia, 2006

Si l’invention de la perspective en peinture a participé à la constitution d'une théorie du paysage, pourquoi les derniers développements de celle-ci n'auraient pas, en retour, influencé les pratiques artistiques? Depuis les années 70, surtout avec les travaux du philosophe Alain Roger, la réflexion sur le paysage a beaucoup évolué : il est désormais évident que la notion de paysage n’existe ni partout, ni toujours, qu’elle est, en somme, une construction culturelle. Thomas Klimowski semble avoir nettement assimilé cette place de la subjectivité sociale dans le rapport au territoire, désignée en sociologie par «géographie des représentations».
Dans l’installation
Polonia (2006), le titre est placé comme une enseigne sur une armature métallique, entourée au sol de plaques de bois, des archipels disposés de façon aléatoire. Polonia est un terme tiré des racines latines du mot Pologne, qui désignait la diaspora polonaise éparpillée dans le monde entier à une époque où le pays n’existait plus, annexé par les puissances voisines. L’enseigne désigne ainsi un territoire mental, réunissant les fantasmes d’une mémoire commune, dont les carrés de bois disposés autour fonctionnent comme les pièces dispersées du puzzle. Parmi ceux-ci, une boîte lumineuse donne à voir la photographie d’un échangeur autoroutier, prolongeant le principe d’un non-lieux, d’un horizon commun dont le chemin est moins à retrouver qu’à réinventer.

J’aimerais revoir les cactus en fleur, 2006

Ce même principe d’un territoire mental, tel un puzzle fragmenté, se trouve aussi évoqué par
J’aimerais revoir les cactus en fleur (2006), composé de toiles de différentes tailles aux tons terre et ocres, tendues par des câbles, composant la métonymie d’un paysage. Ici, le monochrome se trouve paradoxalement associé au principe du point de vue, de la «venduta», revisitant l’abstraction par le biais d’une mise en espace de la représentation cartographique.

Dérives, 2006

Dans Dérives (2006), l’idée de puzzle semble intégrer la vision subjective et mobile apportée à la cartographie par les dernières technologies. La possibilité de déplacer un espace composé de « parcelles » de bois, signifie les mutations d’un territoire et l’artifice des frontières, tandis que la représentation photographique de cette composition vue de haut, à l’image d’une carte, fige la multiplicité de points de vue pour créer l’illusion de contrôler un espace.

Lances, 2008

Le caractère générique des différents éléments de ce paysage peut évidemment évoquer des compositions picturales de l’abstraction des avant-gardes, mais il ne s’agit plus ici de construire une autonomie interne au tableau mais de signaler la dimension partielle de toute cartographie et le caractère transitionnel de sa signification. Le monochrome assume ainsi un caractère guerrier (dans une autre installation où il les accroche à des lances), face à un contexte social et artistique dominé par l’efficacité du « message ».

Panneaux, 2006

Cet épuisement des signes se trouve encore dans Panneaux (2006), où des modules de panneaux publicitaires que l’on trouve sur le bord des routes, dessinent les lignes d’un paysage générique (avec la superposition de couches de bois différents) au caractère cinématographique accentué par l’éclairage en contre-plongée et l’enfilade des panneaux dans l’espace.

Balkanisme, 2008

Il cherche aussi à mettre à l’épreuve les notions de territoire et de frontière en les transposant sur la géométrie d’un terrain de foot, dont il divise l’un des deux camps successivement à moitié, jusqu’à l’absurde évoqué par le titre (Balkanisme, 2008), lorsqu’un conflit se scinde en de multiples conflits. En convoquant autant les avant-gardes du modernisme que l’imaginaire de la culture populaire, Thomas Klimowski interroge comment la géographie et les limites de sa transposition abstraite (codes couleurs, planéité) peuvent dissimuler une géopolitique.
Pedro Morais, mars 2009

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